Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Président au bord de la crise de nerfs

18 septembre 2014

On ne peut qu’être frappé par les virages brutaux pris ces derniers jours par le gouvernement. Les mesures se succèdent et parfois se contredisent. Le pouvoir nous donne l’image d’être aux abois. Son affolement actuel va, hélas, de pair avec celui d’une partie de sa majorité, et l’on a envie de dire de sa « nouvelle » opposition. Ceux que l’on appelle les « frondeurs » au sein de la majorité sont devenus en quelques jours les arbitres potentiels de la situation politique. Cela se confirmera certainement avec le début de la discussion budgétaire au parlement. Mais, la cohérence économique (ou plus exactement le manque de) des propositions des « frondeurs » du Parti « Socialiste » a attiré un certain nombre de commentaires. Il est vrai que ces propositions sont souvent disparates. Certaines d’entre d’elles sont d’ailleurs assez proches des propositions du Front de Gauche. Ici aussi se pose un certain problème de cohérence. Le nouveau Ministre de l’Économie, Emmanuel Macron, s’est saisi de ces incohérences, qu’elles soient réelles ou supposées, pour tenter de faire passer le message qu’il n’y avait « pas d’alternative », mettant ainsi ses pieds dans les traces de Margaret Thatcher. Prenons donc au sérieux ces propositions pour tenter d’en évaluer les conséquences.

L’incohérence de la « gauche » traditionnelle

Les « frondeurs » demandent que le tournant austéritaire de la politique gouvernementale cesse. Ils contestent des mesures comme le « Pacte de Responsabilité » ainsi que les mesures fiscales qui lui sont associées. Certains d’entre eux demandent un « coup de pouce » aux bas salaires (mais sans le quantifier) voire, et de ce point de vue il y a convergence avec le Front de Gauche, une revalorisation substantielle du SMIC. Les plus cohérents, dont Gérard Filoche, proposent que l’on s’attaque à la fraude fiscale et sociale des entreprises, fraude qui porte sur plusieurs points de PIB. Toutes ces revendications, prises séparément, sont justes. Aucune n’est cohérente dans le contexte économique actuel. Ce contexte, rappelons le, est celui de la mise en place, au nom du sauvetage de l’Euro, de dévaluations salariales plus ou moins brutales dans les pays de l’Europe du Sud. Ces mesures ont été extrêmement brutales en Grèce et au Portugal, un peu moins en Espagne et en Italie. Admettons donc que l’on donne satisfaction aux « frondeurs » et à leurs amis, que ce passerait-il ? Les coûts salariaux monteraient en France, alors qu’ils baissent (contraints et forcés) chez nos voisins. La pression sur les entreprises augmenterait aussi, car la fraude fiscale et sociale (sans doute 35 milliards d’Euros par an pour la fraude fiscale et environ 20 milliards par an pour la fraude sociale) représente en réalité un gain (masqué) pour la trésorerie de ces entreprises tout comme elle est une perte (ouverte) pour les finances publiques. Ce double mouvement produirait une dégradation de la compétitivité relative des entreprises françaises, non seulement sur les marchés extérieurs (exportations) mais aussi sur les marchés intérieurs (importations). Le chômage augmenterait brutalement et le nombre d’entreprises qui sont en difficultés ferait un bon, avec une hausse importante des faillites. L’année d’après, les ressources fiscales de l’État, qui auraient été renforcées par la lutte contre la fraude (si l’on estime à 60% le taux de récupération immédiat que permettrait de fournir une politique agressive de lutte, cela se monterait à 40 milliards soit 2 points de PIB), baisseraient de nouveau avec le ralentissement de l’activité économique dû à l’effet de concurrence des pays qui nous entourent. Sur le fond, le programme des « frondeurs » et de leurs alliés contient une once de vérité. La demande est aujourd’hui indûment déprimée et nous sommes obligés de faire fonctionner l’économie française sous son taux d’inflation structurel, qui se situe sans doute entre 2,5% et 3,5%. C’est pourquoi l’activité économique est si faible dans notre pays. Mais nous ne pouvons avoir le taux d’inflation correspondant à un niveau plus raisonnable d’activité SAUF si nous déprécions relativement notre monnaie par rapport à celle des pays ayant un taux d’inflation structurel plus faible que le nôtre. En fait, c’est l’une des dimensions du piège de l’Euro. Tant qu’ils se refuseront à l’admettre et à désigner la véritable cause de nos problèmes, les « frondeurs », tout comme leurs alliés potentiels, qu’ils soient écologistes ou du Front de Gauche, sont condamnés à tenir des discours incohérents.

L’obsession mortifère de la droite pour l’austérité

Faut-il donc continuer la politique d’austérité, voire la renforcer comme le proposent des hommes politiques de l’opposition, tels François Fillon ou Alain Juppé ? Nous voyons sous nos yeux l’échec de cette politique. De fait, l’argent « donné » aux entreprises (par le CICE et les autres mesures) s’avère insuffisant pour entraîner une hausse telle des marges que les entreprises auraient intérêt à investir, et donc à embaucher. Une partie des gains, limités, de marges sont, en réalité, distribués aux actionnaires dans la logique de domination de la finance sur le capitalisme industriel. Par ailleurs, la pression sur les revenus de la population entraîne une baisse de la consommation, baisse qu’amplifie l’inquiétude pour le futur. Si le gouvernement pratiquait des coupes encore plus sombres dans les dépenses publiques, comme le demande l’UMP, il déstabiliserait les consommations collectives (dans le domaine de la santé et de l’éducation notamment), obligeant les ménages les plus modestes à un effort supplémentaire dans ce domaine, effort qui ne pourrait être consenti que par une baisse supplémentaire de la consommation. Si nous étions dans une situation où nos voisins connaissaient une consommation en expansion, cela pourrait se justifier. Mais, dans une bonne partie de l’Europe, la consommation des ménages stagne ou baisse. Il est donc plus que probable que le gain en compétitivité provenant des mesures proposées par le MEDEF, que ce soit la fin du SMIC ou la suppression de jours fériés, n’auraient aucun impact sur la croissance, mais qu’elles provoqueraient, à très court terme, un nouveau tour de vis dans ces pays.

Le choix de notre mort ?

Il semble donc que nous n’ayons que le choix de notre mort : étranglé par le lacet de la compétitivité mis en place par l’Euro chez les « frondeurs », et condamné à mourir d’inanition avec l’austérité à la sauce UMP. Par ailleurs, si nous ne faisons rien, soit avec la politique du gouvernement actuel, nous mourrons de l’équivalent d’une hémorragie lente, la France perdant chaque mois un peu plus son potentiel économique. Il faut en effet savoir que la baisse des coûts salariaux qui serait nécessaire pour inverser la tendance et redonner un véritable dynamisme à notre économie est de 15%1. Certains espèrent alors qu’à défaut de pouvoir baisser nos coûts, l’Allemagne pourrait massivement augmenter les siens. Mais, c’est un espoir illusoire compte tenu de la situation de l’Allemagne2. Enfin, d’autres mettent tous leurs espoirs dans la baisse de l’Euro face au Dollar américain, et il est vrai que depuis environ un mois on assiste à une (légère) dépréciation. Mais, d’une part, cette dépréciation devrait être bien plus importante pour avoir un impact sur l’économie française (ou italienne). Il faudrait que l’on descende rapidement en dessous de 1,15 USD pour un Euro et plus probablement vers 1,05. Or, nous sommes actuellement autour de 1,290 USD pour un Euro.

Ceci est peu probable dans la mesure où la zone Euro (du fait de l’Allemagne) dégage un excédent commercial sur le reste du monde. Il faut d’ailleurs signaler que depuis maintenant près de 10 ans le taux de change de l’Euro a été systématiquement, et ce même lors de la crise financière, au-dessus du niveau convenant à l’économie française. Croire que l’on pourrait inverser cette tendance de fond avec des mesurettes prises par la BCE témoigne du degré d’aveuglement, ou du degré d’hypocrisie dans lequel se complaisent les experts aux gages du gouvernement.

D’autre part, quand bien même l’Euro tomberait en-dessous de 1,15 USD, cela ne réglerait qu’une partie de nos problèmes, car cela laisserait la France à parité avec l’Allemagne. Or, c’est avec l’Allemagne que notre compétitivité aussi pose problème. La question n’est donc pas seulement du taux de change avec le « reste du monde ». Il faut le répéter, il n’y a pas de solution pour l’économie française tant que nous resterons dans la zone Euro. La raison fondamentale est que la monnaie unique oblige les pays à s’aligner sur le taux d’inflation du pays important ayant le plus faible taux. Or, ce taux d’inflation traduit en réalité des différences structurelles importantes entre les économies3. L’intérêt d’avoir des monnaies différentes réside justement dans la possibilité de les déprécier (ou de les apprécier) en fonction de ces différences structurelles.

On l’a montré dans une étude publiée il y a juste un an, la fin de la zone Euro, les dépréciations monétaires qui en résulteraient, permettraient de réaliser ces ajustements pour la France mais aussi pour d’autres pays, que le carcan de l’Euro nous interdit. Ce faisant, il serait possible de retrouver rapidement le chemin de la croissance et par là même d’avoir les marges de manœuvre pour faire les réformes structurelles dont notre pays a réellement besoin mais qui ne sont pas ces caricatures que l’on nous présente aujourd’hui.

Le gouvernement aujourd’hui s’affole…

Il est désormais clair que le gouvernement aujourd’hui a pris conscience de l’impasse dans laquelle l’économie française est plongée. Les dernières mesures qui ont été annoncées, comme la suppression de la première tranche de l’impôt sur le revenu (IRPP), ou l’annonce d’une « prime exceptionnelle » pour les petites retraites, témoignent de son affolement. La discussion budgétaire sera problématique car le gouvernement devra faire face à une possible censure de la part de la Commission Européenne s’il renonce à ses objectifs de réduction du déficit public, et une censure certaine des députés s’il reprend brutalement des mesures austéritaires. Il est probable qu’il cherchera à s’émanciper d’un vote en recourant à des artifices de procédure comme le vote bloqué ou en engageant la confiance du gouvernement (article 49-3). Ces artifices peuvent prolonger la vie de ce gouvernement de quelques semaines, voire de quelques mois, mais certainement pas au-delà du printemps 2015.

La raison demanderait au Président de prendre acte de l’échec de sa politique, de l’échec plus générale de la stratégie de l’Union Monétaire dans laquelle le pays est engagé, et de changer de politique. Il est certes bien tard pour le faire. Cela impliquerait de changer une nouvelle fois de Premier Ministre et de nommer à Matignon un homme ou une femme ayant les convictions et les capacités pour mettre en œuvre ce changement radical. Plus que tout autre chose, ceci demanderait au Président de s’extraire du piège narcissique dans lequel il s’est mis de lui-même. Il n’est pas sûr qu’il en ait la force ni la volonté. Mais il doit comprendre que le confort de la continuation de la politique actuelle ne durera pas et se paiera d’ici quelques mois à un prix autrement fort.

Jacques Sapir

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :